EP4 - Dans la peau d’un mort au Moyen Âge
Écouter l'épisode complet :
RÉSUMÉ DE L’ÉPISODE:
Dans cet épisode, Beyond the Veil vous emmène loin, très loin jusqu’au Moyen Âge.
Un monde où la fin de vie n’était ni cachée ni aseptisée, mais encadrée, ritualisée, intégrée à la société.
Comment mourait-on au XIIIe siècle ? Quels gestes entouraient le corps ? Qui avait droit à un cercueil sculpté et qui finissait dans une fosse commune ?
Entre ars moriendi, messes payantes, peur des revenants et banquets funéraires, je vous propose une immersion sensible dans ce que l’époque médiévale faisait de ses morts.
À travers récits documentés, pratiques sociales, croyances collectives et logiques spirituelles, cet épisode explore une époque où mourir faisait encore partie de la vie.
🎙️ Un voyage entre Histoire, rites oubliés et miroir tendu à notre rapport moderne à la finitude.
RETRANSCRIPTION:
Vous écoutez Beyond the Veil, le podcast qui va vous réconcilier avec la mort. Ce podcast vous est présenté par Virginie, moi, conseillère funéraire de formation et passionnée par ce sujet si tabou encore en 2025. Ce podcast traite d'un sujet sensible et n'est ni une apologie, ni une façon de le banaliser.
Vous sentez ? Ça sent le vieux parchemin, le bois, la mort. Aujourd'hui mes petits soleils, on remonte le temps, direction le Moyen-Âge. Pas de filtre, pas de glamour, juste la vérité crue d'un monde où la mort n'était pas une exception, mais une compagne de route.
Alors, peste, superstition et reliques, bienvenue au Moyen-Âge!
Imaginez, vous êtes au XIIIe siècle. Vous vivez dans un village, ou peut-être dans une ville fortifiée. Vous avez peut-être 35 ans, ce qui fait de vous un vieux sage. Et puis un jour, vous mourrez. La peste, une blessure qui s'infecte, une chute de cheval ou juste la grippe. Bref, vous êtes mort. Et là, tout commence. Mais avant de vous parler de votre vie de mort au Moyen-Âge, on va se mettre dans le contexte.
Au Moyen-Âge, la mort rodait partout. La peste noire, au XIVe siècle, a fauché un tiers de la moitié de l'Europe, laissant des villages fantômes. Tuberculose, variole, dysenterie, les maladies étaient des tueuses silencieuses, exacerbées par le manque d'hygiène et de connaissances médicales. Les guerres, incessantes, comme par exemple la guerre de Cent Ans, envoyaient des hommes au combat, souvent sans retour. Les accidents, dans les champs ou à la maison, étaient monnaie courante. Pour les femmes, l'accouchement était un pari mortel, beaucoup ne survivant pas. On meurt jeune, très jeune. Un enfant sur deux n'atteint pas l'âge de 5 ans.
Mais parfois, la mort prenait un tour absurde. Prenez Louis III de France. En 882, il s'est fracassé le crâne sur un linteau en poursuivant une jeune fille à cheval. Ou alors, le pape Adrien IV en 1159, qui s'est étouffé avec une mouche en buvant de l'eau. Ou encore, le prince Philippe de France, tué après que son cheval a trébuché sur un cochon en 1131. La mort, décidément, avait de l'imagination à l'époque.
Mais bon, là, aujourd'hui, c'est vous le mort. Revenons à vos funérailles.
Au Moyen-Âge, mourir, c'est tout sauf anodin. Déjà, tout le monde vous regarde. Littéralement. On appelle ça la bonne mort. Ars Moriendi, il faut mourir bien, en paix, si possible entouré de votre famille, d'un prêtre et d'un testament. Sinon, gare à votre âme. On veille à ce que vous ayez confessé vos péchés, reçu les derniers sacrements et surtout que vous soyez prêt. Parce que après, pas de retour en arrière. En même temps, on sait très bien qu'il n'y a pas de retour en arrière. Personne n'est jamais revenu nous dire comment c'était. Le paradis, le purgatoire ou l'enfer vous attendent. Et spoiler alert, la balance penche souvent vers le bas.
L'Ars Moriendi, c'est du latin qui veut dire l'art de bien mourir. C'est un mode d'emploi pour bien quitter ce monde. C'est un véritable manuel. Et pas Manuel, un manuel. Ce petit livre, souvent illustré, explique aux mourants comment se préparer à la mort, spirituellement. Il détaille les tentations du diable à l'heure ultime. Orgueil, désespoir, attachement au bien terrestre, et en face, il propose les antidotes. Foi, espérance, humilité. L'objectif ? Accompagner la personne dans ses derniers instants, l'aider à mourir en état de grâce pour espérer le salut de son âme.
Ce n'est pas une mort improvisée, c'est une mort encadrée, dirigée, presque ritualisée. Une fois mort, on s'occupe de vous, enfin, de votre corps. On vous lave, on vous habille, souvent de blanc, couleur de pureté, puis on vous installe dans votre cercueil. Si vous êtes riche, en pierres sculptées. Si vous êtes pauvre, en bois brut, voire... directement dans un linceul. Votre maison devient temporairement une chapelle. Les voisins viennent prier, la famille pleure, et les curieux passent voir si vous êtes bien mort. On allume des cierges, on chante des psaumes, prie pour votre âme, et puis on vous enterre dans le cimetière, près de l'église, pour que vous soyez protégé. Mort pendant la peste noire ? Ah, pas de chance, pas de rituel, les corps étaient entassés directement dans des fosses communes. Mais attention, l'emplacement dépend de votre rang social. Plus, vous êtes proche de l'église, plus, vous êtes proche de Dieu. Les pauvres, à l'arrière. Littéralement, à la marge.
Et après, on mange. Oui, vous avez bien entendu. On mange. Après votre enterrement, place au banquet funéraire. Car oui, au Moyen-Âge, on pleure, mais on fesse toi aussi. Surtout si vous étiez important. C'est l'occasion de célébrer votre vie, de montrer sa richesse et d'apaiser les vivants. Sur les tables, du vin, de la viande, des galettes. et parfois un crieur public qui lit votre testament en plein repas. Rien de tel qu'un bon gigot pour apprendre que vous avez tous les gays à l'abbaye. Et si vous étiez vraiment influent, on pouvait faire dire des dizaines, voire des centaines de messes pour votre âme. Payante, bien sûr. Le paradis, ça se finance. Si la famille a les moyens, on paie pour des messes commémoratives. On fait des dons à l'église, on organise des obits , ces messes dites à des dates fixes après la mort. Alors je ne sais pas si on dit « hobbits » Hobbitz, Hobbitz, puisque ça s'écrit O-B-I-T-S, mais à ne pas confondre avec "Hobbits", ces petits habitants de la comté.
Alors, pourquoi payer des messes commémoratives ? Pourquoi on faisait énormément de messes à cette époque ? Eh bien, parce que plus on prie, plus on prie pour vous, plus on allège votre temps de purgatoire. Et au Moyen-Âge, le purgatoire, c'est long, très long. Mieux vont donc avoir quelques amis encore vivants pour penser à vous et payer bien évidemment. Mais tout ne s'arrête pas là. Parce qu'au Moyen-Âge, on a peur que vous reveniez. Ouais, une fois débarrassé, on ne veut plus vous revoir. L'idée du revenant, elle est partout. Les morts peuvent rôder, hanter, réclamer vengeance. Alors parfois, on prend des précautions. On vous lit les pieds, on vous place une pierre sur le ventre, on vous met un clou dans le crâne. Bah ouais, pour éviter que vous vous leviez. Le but ? Que vous restiez bien là où vous êtes. Et que vous fassiez votre purgatoire en silence.
La mort, à cette époque, n'est pas taboue. Elle est partout. On la montre. Sur les murs des églises, dans les livres, dans les chansons, la fameuse danse macabre, où la mort entraîne riches et pauvres dans une valse finale, car au fond, mourir, c'est le grand égalisateur. Peu importe votre titre, votre or ou vos terres, vous finirez dans le même trou, avec les mêmes vers. Pourtant, des inégalités persistaient. Les funérailles des riches étaient des spectacles. avec des processions, des banquets, tandis que les pauvres avaient des enterrements beaucoup, beaucoup plus sobres.
Vivre au Moyen-Âge, c'est apprendre à cohabiter avec la mort, à l'apprivoiser. Elle fait partie du décor, elle structure les rites, les croyances, les imaginaires, mais ce n'est pas que morbide, c'est aussi profondément humain. Célébrer, pleurer, honorer, rire même parfois, comme un dernier hommage. C'est un événement social, spirituel et communautaire.
Comprendre la mort au Moyen-Âge, c'est comprendre que c'est une étape de vie, qu'on peut s'y préparer et qu'on peut être accompagné. Et peut-être qu'il y avait, dans cette proximité permanente avec la fin, un peu plus de lucidité, un peu plus de lien, un peu moins d'hypocrisie. Peut-être qu'on a perdu quelque chose aujourd'hui, en mettant la mort de côté. Peut-être que ce recul médiéval face à la fin, aussi codifié soit-il, contenait un peu de sagesse.
Merci d'avoir écouté Beyond the Veil. Si cet épisode vous a plu, partagez-le, laissez une note ou un commentaire sur votre plateforme préférée ou venez discuter de ce que vous voulez qu'on fasse de votre corps après votre dernier gigot !